Vendredi 29 avril à la Cité Municipale, le Québec rendait encore une fois visite à Bordeaux. Et ceci dans le cadre d'une problématique qui nous intéresse particulièrement puisque celle de la prévention de la radicalisation. Focus sur le centre de Montréal, devenu en à peine un an une référence mondiale.
Qu'est ce qui a bien pu faire en si peu de temps du Centre de Prévention de la Radicalisation menant à la Violence (nous utiliserons CPRMV) une telle référence au plan mondial ?
Lancé en mars 2015, le CPRMV de Montréal emploie 15 personnes, agit dans toute la province du Québec, et surtout, possède un budget de 2,5 millions de dollars canadiens (soit un peu plus de 2 millions d'euros). Un chiffre vraiment impressionnant comparé aux autres initiatives semblables dans le monde.
L'explication est simple. Là où la plupart des Etats ou organismes publics confrontés au risque terroriste (mais la radicalisation est aussi souvent - et historiquement - politique, que l'on parle d'extrême droite ou gauche...) concentrent par réflexe leurs moyens sur une politique répressive, le gouvernement local a lui décidé de miser sur la prévention. Et ce massivement en général 80% des ressources. On est ici littéralement à contre courant !
Alors pour nuancer, quand on sait que le taux de criminalité au Canada, et notamment au Québec, est extrêmement bas et que l'on ajoute à cela une société fonctionnant dans une logique inter-communautaire... on se dit que les canadiens ont la chance de partir d'une situation bien plus apaisée que la nôtre en France ou même en Europe.
De même, une laïcité à l'anglo-saxonne permet à mon sens bien plus de souplesse et de dialogue si on la compare à notre concept de laïcité "à la française" (comprendre hyper stricte).
Dans les faits, indépendant et autonome, le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence de Montréal est un organisme à but non lucratif ayant comme objectif la prévention, en amont, des actes de violences liés à la radicalisation et l’accompagnement des familles et des proches d’individus radicalisés ou en voie de radicalisation. Il offre aussi une prise en charge professionnelle et psychosociale des individus par la déconstruction des idéologies menant à la violence.
Ce modèle, dont les méthodes de travail sont basées sur la prévention bien sûr, la confiance et la réinsertion pour les cas les plus graves (le leitmotiv est le "vivre-ensemble"), s'attire depuis un an les louanges de tous les spécialistes, et même le soutien de l'ONU.
Exit ici le contrôle mental ou encore la stigmatisation d'internet, qui on ne le répétera jamais assez, est certes un catalyseur, mais pas un moyen de radicalisation en soi. L'approche est pluridisciplinaire.
Et les résultats semblent suivre au CPRMV qui a déjà reçu plus de 700 appels, pour 13 cas seulement ayant nécessité un signalement à la police. Aussi, le centre travaille son capital confiance auprès du public, et estime que le nombre d'appels peut encore potentiellement tripler.
Aussi sur le blog: CAPRI, pionnier d'un nouveau modèle de lutte contre la radicalisation ?
Une méthode qui fonctionne donc, et c'est d'ailleurs pour cette raison que le Directeur du CPRMV, Herman Okomba-Deparice, était en France toute la semaine avec une partie de son équipe pour plusieurs conférences... et de conclure par Bordeaux donc, où le CAPRI (centre d'action et prévention contre la radicalisation des individus), récemment lancé, tente déjà de calquer son fonctionnement sur le modèle canadien.
L'équipe québécoise était accueillie par Marik Fetouh, adjoint à la Citoyenneté et à l'Egalité du Maire de Bordeaux, et surtout Secrétaire Général et figure de proue de CAPRI.
Enfin, en assistant à la présentation du Centre de Montréal, j'ai été personnellement marqué par le ton très apaisé du discours ainsi qu'une forte ambition. Un détail en particulier, c'est l'absence totale de référence au terme de "déradicalisation", très à la mode en France , notamment dans les médias, et pourtant un peu vide de sens... Herman Okomba-Deparice a fait remarquer qu'on lui préférait systématiquement le terme de "réinsertion" au Canada.
Alors la question est bien sûr "peut-on seulement espérer approcher les résultats canadiens sans les moyens humains, sans ce budget à faire pâlir, et dans une société où la blessure terroriste est encore vive ?"
J'évoque aussi de nouveau certains débats peu/mal maîtrisés sur la laïcité en France qui n'encouragent pas à l'apaisement.
Nul doute que la situation française est autrement plus sensible à l'heure où nous parlons, mais le véritable succès de cette tournée (l'auditoire bordelais est ressorti convaincu) du CPRMV laisse espérer qu'une fois la prise de recul effectuée, la prévention de la radicalisation en France pourra encore attraper le bon wagon. Elle a peut-être au moins trouvé le modèle à suivre.
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Pour en savoir plus, je vous invite à parcourir le site du CPRMV de Montréal, et celui du CAPRI bordelais.
Et n'oubliez pas l'événement important qui se déroule à la fin du mois à Bordeaux, un colloque européen sur le contre discours que peuvent développer les villes face à la radicalisation. En présence du Ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve et du Maire de Bordeaux Alain Juppé.
Un dernier mot pour signaler que mercredi 4 mai à 18h, Maria Mourani, ancienne députée fédérale du Canada, criminologue, sociologue et auteure de plusieurs ouvrages de référence, sera reçue à l'Hôtel de Ville de Bordeaux par Marik Fétouh. Elle réalise actuellement une étude sur le djihadisme.