Nous y sommes donc, au cœur de cette "guerre". Cette guerre qu'on ne voulait pas voir. Je pense que tout a été dit sur l'ennemi au mois de janvier sur ce blog, et nous éviterons donc ici les redites.
La situation est néanmoins différente depuis vendredi et nous sommes chacun devenus les cibles anonymes de la barbarie. C'est pourquoi ce billet prendra la forme du simple témoignage d'un français qui comme vous, comptait juste passer un bon vendredi soir...
C'était vendredi donc, vendredi 13. Tiens on se dit qu'on devrait peut être jouer au Loto... puis on ne le fera pas.. comme d'hab ! Le vendredi on décompresse, les bars se remplissent, à Bordeaux comme partout, comme à Paris. Et puis en plus il y a ce match de foot, France-Allemagne, alors on se dit qu'on va le regarder avec les potes, et quelques pintes de bière.
Finalement, on s'organise mal, trop tard.. tant pis. On regardera ça chacun chez soi devant la télé, en commentant quand même sur Facebook et Twitter, en s'amusant des commentaires de ce diable de Christian Jean-Pierre.
21H: le match commence, les hymnes résonnent. J'envoie aux copains quelques blagues de mauvais goût sur la relation franco-allemande. C'est un classique France-Allemagne, depuis un psychodrame sportif à Séville en 1982, où l'un de nos bourreaux du soir portait le même nom que moi d'ailleurs. Un match symbole aussi, deux jours après le 11 novembre en plus... c'est ça le sport aussi, le combat, le respect, la fraternité.
Allez c'est parti cette fois ! Plutôt un joli match, la France joue bien, domine presque face aux champions du monde. On joue alors la 20ème minute, une explosion retentit, résonne dans le stade. Le public chambre.
A ce moment précis, la réaction basique est de se dire "tiens une bombe agricole". Oui, ce genre de gros pétard est courant dans les stades.... mais pas au Stade de France. Je me dis que c'est inhabituel, mais pourquoi pas.
10 minutes plus tard, seconde explosion. Décidément, il y a un groupe de supporters un peu trop turbulents... sauf que là encore, je me fais la réflexion: "C'est n'est vraiment pas habituel pour un match de l'Equipe de France, un match attirant généralement un public très familial et hétéroclite, pas de groupes d'ultras là pour mettre le bocson".
D'ailleurs je vous invite à bien regarder la réaction de Patrice Evra, le joueur français qui tient le ballon au moment de la seconde détonation. Clairement, il hésite, sent bien que quelque chose n'est pas normal.
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Images TF1 |
Je consulte mon fil Twitter (celui du blog). Rumeur d'une fusillade dans Paris. A aucun moment je ne fais le lien avec Saint-Denis. Je pense au grand banditisme.
Le match lui continue, et la domination des Bleus se fait plus pressante. Anthony Martial déborde, se joue avec une facilité déconcertante de la défense allemande, passe en retrait, Olivier Giroud ouvre le score. Avec les amis, on s'envoie des messages, on a aimé cette action, pris du plaisir.
En même temps, sur Twitter, une fusillade toujours, mais ce qui me marque c'est que ce n'est pas la même qu'il y a 10 minutes. Non on parle bien d'une autre. Rumeur d'une troisième même ! Je visualise une course poursuite, mais je commence aussi à repenser à Janvier. Mais ce n'est pas possible, pas déjà.. pas la même année...
Mi-temps.
"Urgent: le Président de la République exfiltré du Stade de France"
Je me revois encore. Sur TF1, le match a laissé place au bal des publicités. Je me prends un yaourt, consulte ma tablette. Plusieurs sites d'information annoncent l’exfiltration du Président François Hollande du Stade de France. Il se passe quelque chose de grave donc, maintenant c'est sûr.
En effet, il y a eu une troisième explosion près du stade, et les rumeurs de fusillades dans Paris n'en sont plus du tout. Il y aurait une prise d'otages au Bataclan.
Avant de publier, je voulais attendre d'être à tête reposée, mais alors que pendant que j'écris ces lignes le Président de la République prononce son discours à Versailles, impossible vraiment de prendre du recul. A vrai dire je ne me rappelle plus de la seconde mi-temps du match. Pourtant il continuait, en fond, sur un écran qui ne m’intéressait plus.
Le nez collé sur le fil Twitter, puis Facebook avec des statuts d'amis vivant à Paris, éparpillés dans Paname, bloqués dans des restaurants, ou chez eux pour les plus chanceux. Tout le monde savait, réalisait. Quelques messages, coups de fil. Dans mon entourage ça va. Ce ne sera pas le cas pour tous mes amis. Certains, ne le savent pas encore, mais ont déjà perdu quelqu'un.
Comment retranscrire alors ce sentiment d'inutilité qui vous habite ? Peut-être l'avez vous aussi ressenti. Très vite, avec d'autres, je m'emploie à tweeter et relayer des consignes de sécurité: "Attention aux fausses rumeurs", "Telle ligne de métro est fermée", "N'encombrez pas les lignes téléphoniques d'urgence" ...
Je n'insisterai jamais assez sur l'importance qu'auront joué les réseaux sociaux ce 13 novembre. Les comptes officiels de la Préfecture de Paris mettront 2H à publier des consignes. Les parisiens eux, n'auront eu besoin que de quelques instants pour organiser l'entraide et tenter de mettre un peu d'ordre dans cette panique qui s'empara de la capitale: #PorteOuvertes, combien de personnes ce hashtag, d'où qu'il vienne, a t'il permis de réconforter, héberger, de sauver ?
Combien ont été rassurés sur la situation de leurs proches grâce à l'application Security Check de Facebook ?
Mais retour au Stade de France. 2-0 pour les bleus, un joli but encore, mais tout le monde s'en fout désormais. Il reste quelques minutes de jeu. Le match continue alors que le reste du pays sombre dans la stupeur. Selon moi une bonne chose, on ne lâche pas 80 000 spectateurs dans la nature alors que des kamikazes sont en action hors de cette enceinte sécurisée.
Enfin, à 3 minutes du terme, TF1 annonce que dès le coup de sifflet final, une édition spéciale prendra le relais, des "événements dramatiques se déroulant dans Paris". C'est seulement à ce moment là que je découvre les premières images télé des rues parisiennes. TF1 profite d'ailleurs de son dispositif au Stade de France pour y retourner et montrer que le public est cloîtré dans l'enceinte, sur la pelouse. C'est l'incompréhension totale, au début du moins, car très vite les spectateurs réalisent. Malgré un bref mouvement de panique, tout se déroulera bien, et les portes rouvriront aux alentours de minuit, soit plus d'une heure après la fin du match.
Minuit: le Président prend la parole, mais étrangement je n'y prête guère attention, comme si je connaissais déjà le contenu de ce communiqué.
Minuit et vingt minutes, l'heure de l'assaut au Bataclan, l'heure de découvrir le "carnage". Carnage, c'est un mot qui reviendra toute la nuit. Des chiffres terrifiants, à ce jour non définitifs, tomberont jusqu'au matin.
Les rues se vident, les informations se font plus rares. C'est l'heure du travail des secours. Et sur Twitter commence alors un bal funeste. Celui des anonymes qui cherchent leurs enfants, leurs amis. Relayés par des comptes de personnalités, par exemple ces youtubeurs stars des ado et leurs centaines de milliers de followers. Des visages qui se succèdent, internet en est alors rempli. Et cela rend malade, car on sait que pour certains d'entre eux, il n'y aura pas de retrouvailles...
Il est alors 4H du matin, je n'ai pas sommeil, mais mal à la tête. L'heure de couper tous ces écrans et de réfléchir. En se disant que demain, on apprendra des choses horribles, toujours plus.
Le week-end est désormais passé dans l'ambiance que vous savez. Touchant soutien international, images de fraternisation, ripostes policières et militaires, fortes décisions politiques... comme après Charlie ? Non cette fois c'est pire. Janvier c'était la liberté d'expression, c'était aussi l'antisémitisme. Vendredi ce sont des anonymes, la jeunesse, c'est notre mode de vie, notre zone de confort qui ont véritablement été violés. Quelque chose de plus global et aveugle, froid. Donc plus effrayant.
Alors oui, la guerre a été amenée jusqu'à nous, 2015 avec ses attentats (ne pas oublier les ratés comme le Thalys) restera l'année sombre de la France. Et ce n'est pas la fin, nous allons devoir nous endurcir et vivre avec. Mais nous en parlerons ici plus tard, chaque jour apportant un recul bienvenu.
Ah oui au fait ! Demain le match Angleterre-France à Londres est maintenu, et Wembley nous réserve un accueil particulier. Ce sera mardi soir, devant un match de foot.
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Le parvis du stade londonien de Wembley, dimanche 15 novembre |